Au Turkménistan, une difficile bataille contre le sable
"Autrefois, le village se trouvait sur une butte. Mais à cause de l'avancée du désert, il a fallu descendre de plus en plus bas", raconte le retraité Kakabaï Baïmedov. Au Turkménistan comme dans toute l'Asie centrale, la lutte contre la désertification est lancée.
L'apparition d'immenses dunes de sable a compliqué la vie des quelque 3.000 goumly - les habitants du désert, en turkmène - de Bokourdak.
Cette localité à 100 kilomètres au nord de la capitale Achkhabad est située au coeur du Karakoum, désert recouvrant 80% de cette ex-république soviétique bordant la mer Caspienne.
Selon M. Baïmedov, les locaux, conseillés par l’Académie des sciences, y "plantent des espèces endémiques d'arbres pour stopper l'avancée du désert" dans ce village où l'on vit principalement de l'élevage de chameaux et de moutons.
En Asie centrale, où 20% des terres sont dégradées, les scientifiques alertent sur l'avancée "rapide" et "accélérée" de la dégradation des sols et la désertification, "causées par le changement climatique et les activités humaines", notent l'ONU et la Banque mondiale.
Ces problèmes écologiques et sociaux croissants sont aussi un fardeau économique coûtant annuellement 6% du PIB centrasiatique, d'après les organisations internationales.
- Plantations de masse -
"Le désert est un état de la nature. La désertification résulte de l'activité humaine et de phénomènes naturels", résume pour l'AFP Moukhammet Dourikov, scientifique turkmène.
"Les activités humaines peuvent avoir des conséquences environnementales catastrophiques. Le surpâturage et la déforestation entraînent l'érosion des sols, ce qui fait apparaître des zones de désertification et des dunes", explique M. Dourikov, rappelant aussi la "fréquence accrue des vents secs et des sécheresses".
Au Turkménistan, la lutte contre la progression des zones arides prend principalement la forme d'actions massives de reverdissement.
Jamais à court de citations grandiloquentes, les autorités répètent vouloir "transformer le pays en une terre florissante" et ont annoncé cet été avoir planté 162 millions d'arbres ces 20 dernières années.
"Le président participe activement à la lutte contre la désertification", glisse un fonctionnaire du ministère de l'Environnement sous couvert d'anonymat, en raison de l'interdiction de s'adresser aux médias.
Selon lui, "l'entretien est assuré par l'Etat, avec une irrigation au goutte-à-goutte".
Cette information est difficilement vérifiable tant règne le secret au Turkménistan, où les dirigeants incontestés, Berdymoukhamedov père (Gourbangouly) et fils (Serdar) mettent en scène cette lutte.
"En l'absence de rivière, la mort erre, mais cela l'homme ne le tolère. Après un dur labeur, le jardin a fleuri", chante Gourbangouly Berdymoukhamedov, reprenant la chanson culte soviétique "Karakoum", tandis que Serdar s'affiche régulièrement pelle en main en plantant des arbres.
"Auparavant on plantait des épicéas ou des cèdres. Mais aujourd’hui, on retrouve des espèces endémiques, mieux adaptées au climat", dit à l'AFP Merdan Arazmedov, membre de l'Organisation non-gouvernementale pour la conservation de la nature turkmène.
- "Plus résistants" -
A Bokourdak, des scientifiques ont déterminé la direction du vent avant de planter des arbres, principalement des saxaouls.
Ces arbres "plus résistants", ont "des racines s'enfonçant de 10-15 mètres dans le sol" au maximum, pour capter l'eau, explique M. Arazmedov.
Le saxaoul aide à retenir le sable, améliore l'humidité au sol et fait office de barrière naturelle.
M. Baïmedov, devenu botaniste amateur, s'occupe d'environ 15.000 arbrisseaux, appelés à former une muraille végétale contre le sable.
"Il faut 15-20 ans pour faire pousser un arbre comme celui-là", estime ce jardinier du désert devant un saxaoul de huit mètres.
Le saxaoul est aussi utilisé pour protéger Achkhabad, où "des militants écologistes ont planté plus de 50 hectares au bord du désert", rappelle M. Arazmedov.
"Ces plantations doivent contenir le sable qui envahit Achkhabad et d'autres villes, ensevelissant les routes. Désormais, la route vers la capitale n'est plus ensablée", selon l'écologiste.
Mais faire reverdir le Turkménistan se complique en raison du stress hydrique.
"Avant, les jeunes saxaouls avaient quotidiennement besoin de jusqu'à 10 litres d'eau", selon le botaniste M. Baïmedov, soit infiniment moins que d'autres arbres.
"Aujourd'hui, en raison du changement climatique et de la hausse des températures, il leur faut jusqu’à 20 litres quotidiens pour assurer l'enracinement", explique-t-il.
L'accélération de la menace a poussé les autorités à diversifier leurs techniques.
L'an passé, des scientifiques turkmènes ont annoncé avoir réussi des essais avec des cyanobactéries, aussi appelées "algues bleu-vert", pour retenir dunes et humidité et faciliter l'enracinement des arbres.
Et en septembre, le président a proposé à l'ONU la création d'un centre régional contre la désertification en Asie centrale.
G.Lanakila--HStB