

Turquie : nouveau coup contre la mairie d'Istanbul, autour du canal de la discorde
Le projet décrié de "Kanal Istanbul", destiné à doubler la voie maritime du Bosphore sur 50 km, se retrouve au coeur du conflit entre la mairie de la mégapole et les autorités turques.
Le parquet d'Istanbul a annoncé samedi avoir émis des mandats d'arrêt à l'encontre de cinquante-trois personnes, dont quarante-sept ont été interpellées, des proches du maire d'opposition Ekrem Imamoglu, arrêté le 19 mars, et de son équipe.
Pour les responsables de son parti, le CHP, ces arrestations sont liées à leur volonté de contrer le projet démesuré de "Canal Istanbul" du président Recep Tayyip Erdogan.
En meeting à Mersin (sud), le chef du Parti républicain du peuple (CHP), Özgür Özel, a accusé le gouvernement d'avoir "relancé" le projet de "Kanal Istanbul" juste après l'arrestation d'Ekrem Imamoglu.
Ce qu'a démenti "le département de lutte contre la désinformation" du gouvernement, assurant que "l'opération fait suite à l'enquête ouverte le 19 mars contre le maire pour corruption".
- "Une poignée d'ambitieux" -
De sa cellule, Ekrem Imamoglu a dénoncé ces arrestations à un moment où Istanbul et ses 16 millions d'habitants vivent dans la terreur d'un séisme majeur, après celui de 6,2 qui a secoué cette ville mercredi, suivi depuis de nombreuses répliques.
Il s'en est pris à "une poignée d'ambitieux (...) qui se sont mis à remplir des dossiers vides de mensonges et de calomnies".
Le maire, l'un des plus farouches opposants au président Erdogan, a été placé en détention accusé de "corruption", alors qu'il devait être désigné pour être le candidat du CHP à la future élection présidentielle.
Parmi les personnes arrêtées samedi figurent, entre autres, selon la presse turque, son chef de cabinet particulier, le frère aîné de son épouse et plusieurs responsables de l'administration municipale.
Sur X, le responsable provincial du CHP d'Istanbul, Özgür Celik, a affirmé que "l'opération d'aujourd'hui" n'était "pas une coïncidence", les services municipaux ayant ordonné la démolition et l'arrêt des chantiers immobiliers le long du tracé du "Canal Istanbul".
"Les employés de la municipalité qui se sont opposés (au projet) sont actuellement au poste de police principal", a ajouté M. Celik.
Le projet de canal présenté par le président Erdogan, alors Premier ministre, en avril 2011 n'a pas commencé à être réalisé mais des programmes immobiliers ont été lancés par l'Etat tout comme la vente des terrains.
Cette voie d'eau relierait la mer Noire à la mer de Marmara afin de désengorger le détroit du Bosphore, sur 50 km de long, 150 m de large et 25 m de profondeur.
Le président du CHP Özgür Özel a affirmé cette semaine devant le Parlement que l'arrestation de M. Imamoglu était liée à son opposition au "Kanal".
- "Maisons au bord de l'eau" -
"Ils n'arrivent pas à creuser le canal parce que le gardien d'Istanbul Ekrem Imamoglu s'y oppose. Mais ils ont entamé la construction de maisons tout autour ! Pourquoi ? Parce qu'ils les ont vendues", a-t-il martelé.
"Pendant que le maire est en prison" a-t-il renchéri samedi, "Recep Tayyip Erdogan est apparu dans des publicités sur les télévisions arabes. Il a promis des maisons avec vue sur le canal et des lacs à Istanbul, avec des passeports turcs en supplément".
Le projet est fortement décrié par les défenseurs de l'environnement car il empièterait sur les derniers terrains naturels et agricoles autour de cette mégapole.
En outre, le creusement du canal exposerait encore davantage Istanbul aux risques sismiques, ont rappelé cette semaine plusieurs experts, arguant qu'une faille active repose sous son tracé.
"Tous les experts disent que le tremblement de terre sera une question de +survie+ (pour Istanbul). S'il vous plaît, n'allouez plus de ressources à des projets pharaoniques ! Encore une fois : soit le Canal, soit Istanbul", a plaidé le Dr Bugra Gökce, le président de l'Agence de planification urbaine d'Istanbul.
"Que puis-je ajouter...? Bonne chance !", concluait également le Pr Övgün Ahmet Ercan, un géophysicien de l'Institut technique d'Istanbul (ITU).
Ekrem Imamoglu s'est toujours opposé au projet, affirmant dès 2021 que les terrains bordant le futur canal avaient été cédés à des partisans de M. Erdogan : "C'est un projet de BTP et d'immobilier", déplorait-il, avant d'affirmer que "la principale motivation d'Erdogan, c'est l'argent, l'argent et encore l'argent".
C.Kahananui--HStB